Jean-Pierre Conty (Mr Suzuki, livre 30)
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Les pulsations sourdes des diesels communiquent à tout le bateau le rythme d’un cœur angoissé. Pilcher ne respire pas, il halète comme le cotre prisonnier du brouillard. L’unique hublot de la cabine ressemble à l’œil gris d’un aveugle. On n’y voit que le mur immuable de la brume. Sous sa masse opaque, l’immensité de l’Atlantique-nord devient une jungle laiteuse où se glissent, silencieux et sournois, les icebergs… Pilcher est seul dans la cabine-radio. C’est l’heure du déjeuner. Aujourd’hui, il est de service à l’écoute pendant que ses camarades sont réunis aux quartiers de l’équipage, à l’arrière du cotre. Il a le cœur gros. D’abord, c’est son premier grand voyage, sa première « campagne », comme on dit. Frais émoulu de l’école, il est le benjamin de l’équipage. Il pense à sa mère, à sa sœur Lexie qu’il a laissées en Californie. Un mois à peine le sépare de sa famille et du soleil. Et cela lui paraît un siècle. Il a le cafard. Un malaise sournois le mine. Cette prison flottante fait peser sur lui une étrange oppression. Peut-être y a-t-il aussi une attaque insidieuse du mal de mer qui lui tord les tripes, crée une angoisse permanente et la menace de la nausée… |